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le lui conserver ; mais Marguerite avait des doutes à cet égard.

Elle dit tout cela d’une voix un peu sourde, mais sans larmes. Les larmes, comme beaucoup d’autres choses d’avant la guerre, étaient devenues inutiles en raison de l’immensité de la souffrance universelle.

— Comme tu l’aimes ! s’écria Jules.

Elle parut se troubler un peu, baissa la tête, hésita une seconde ; puis, avec un visible effort :

— Oui, je l’aime, déclara-t-elle, mais autrement que je ne t’aimais.

— Ah ! Marguerite…

La franche réponse qu’il venait d’entendre lui avait donné un coup en plein cœur ; mais, par un effet étrange, elle avait aussi apaisé brusquement sa colère : il s’était senti en présence d’une situation tragique où les jalousies et les récriminations ordinaires des amants n’étaient plus de mise. Au lieu de lui adresser des reproches, il lui demanda simplement :

— Ton mari accepte-t-il tes soins et ta tendresse ?

— Il ignore encore qui je suis. Il croit que je suis une infirmière quelconque, et que, si je le soigne avec zèle, c’est seulement parce que j’ai compassion de son état et de sa solitude : car personne ne lui écrit ni ne le visite… Je lui ai raconté que je suis une dame belge qui a perdu les siens, qui n’a plus personne au monde. Lui, il ne m’a dit que quelques mots de sa vie antérieure, comme s’il redoutait d’insister sur un