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cruellement frappé par le malheur : cette haine était une lâcheté. Mais, quoique il eût la claire conscience d’être lâche, il ne put s’empêcher de dire encore à Marguerite :

— C’est donc pour cela que tu es partie sans me donner ton adresse ? Tu m’as quitté pour le rejoindre. Pourquoi es-tu venue ? Pourquoi m’as-tu quitté ?

— Parce que je le devais, répondit-elle.

Et elle lui expliqua sa conduite. Elle avait reçu la nouvelle de la blessure de Laurier au moment où elle se disposait à quitter Paris avec sa mère. Elle n’avait pas hésité une seconde : son devoir était d’accourir auprès de son mari. Depuis le début de la guerre elle avait beaucoup réfléchi, et la vie lui était apparue sous un aspect nouveau. Elle avait maintenant le besoin de travailler pour son pays, de supporter sa part de la douleur commune, de se rendre utile comme les autres femmes. Disposée à donner tous ses soins à des inconnus, n’était-il pas naturel qu’elle préférât se dévouer à cet homme qu’elle avait tant fait souffrir ? La pitié qu’elle éprouvait déjà spontanément pour lui s’était accrue, lorsqu’elle avait connu les circonstances de son infortune. Un obus, éclatant près de sa batterie, avait tué tous ceux qui l’entouraient ; il avait reçu lui-même plusieurs blessures ; mais une seule, celle du visage, était grave : il avait un œil irrémédiablement perdu. Quant à l’autre, les médecins ne désespéraient pas de