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trouvait pas de mots pour exprimer ses reproches, ses supplications, son amour. Ce qui lui vint enfin aux lèvres, ce fut une question acerbe et brutale :

— Qui est cet homme ?

L’accent rageur, la voix rude avec lesquels il avait parlé, le surprirent lui-même. Mais Marguerite n’en fut point déconcertée. Elle fixa sur le jeune homme des yeux limpides, sereins, qui semblaient affranchis pour toujours des effarements de la passion et de la peur, et elle répondit :

— C’est mon mari.

Laurier ! Était-il possible que ce fût Laurier, cet aveugle immobile sur ce banc comme un symbole de la douleur héroïque ? Il avait la peau tannée, avec des rides qui convergeaient comme des rayons autour des cavités de son visage. Ses cheveux commençaient à blanchir aux tempes et des poils gris se montraient dans la barbe qui croissait sur ses joues. En un mois il avait vieilli de vingt ans. Et, par une inexplicable contradiction, il paraissait plus jeune, d’une jeunesse qui semblait jaillir du fond de son être, comme si son âme vigoureuse, après avoir été soumise aux émotions les plus violentes, ne pouvait plus désormais connaître la crainte et se reposait dans la satisfaction ferme et superbe du devoir accompli. À contempler Laurier, Jules éprouva tout à la fois de l’admiration et de l’envie. Il eut honte du sentiment de haine que venait de lui inspirer cet homme si