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groupe prétendait occuper sur le pont la meilleure place. Des hommes considérés comme supérieurs excitaient les groupes à se haïr, afin d’obtenir eux-mêmes le commandement, de saisir la barre et de donner au navire la direction qui leur plaisait ; mais ces prétendus hommes supérieurs en savaient tout juste autant que les autres, c’est-à-dire qu’ils ne savaient absolument rien. Aucun d’eux ne pouvait dire avec certitude ce qu’il y avait au delà de l’horizon visible, ni vers quel port se dirigeait le navire. La sourde hostilité du mystère les enveloppait tous ; leur vie était précaire, avait besoin de soins incessants pour se conserver ; et néanmoins, depuis des siècles et des siècles, l’équipage n’avait pas eu un seul instant de bon accord, de travail concerté, de raison claire ; il était divisé en partis ennemis qui s’entretuaient pour s’asservir les uns les autres, qui luttaient pour se jeter les uns les autres par-dessus bord, et le sillage se couvrait de cadavres. Au milieu de cette sanguinaire démence, on entendait parfois de sinistres sophistes déclarer que cela était parfait, qu’il convenait de continuer ainsi éternellement, et que c’était un mauvais rêve de souhaiter que ces marins, se regardant comme des frères, poursuivissent en commun une même destinée et s’entendissent pour surveiller autour d’eux les embûches des ondes hostiles.

Jules erra longtemps aux alentours de la basilique. Dans les jardins et sur l’esplanade, il fut distrait de