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les noires cavités de leurs fosses nasales. Et ces pauvres débris qui s’obstinaient à vivre et qui promenaient au soleil leurs énergies renaissantes, causaient, fumaient, riaient, contents de voir encore le ciel bleu, de sentir encore la caresse du soleil, de jouir encore de la vie. En somme, ils étaient du nombre des heureux ; car, après avoir vu la mort de si près, ils avaient échappé à son étreinte, tandis que des milliers et des milliers de camarades gisaient dans des lits d’où ils ne se relèveraient plus, tandis que des milliers et des milliers d’autres dormaient à jamais sous la terre arrosée de leur sang, terre fatale qui, ensemencée de projectiles, donnait pour récolte des moissons de croix.

Ce spectacle fit sur Jules une impression si forte qu’il en oublia un moment le but de son voyage. Ah ! si ceux qui provoquent la guerre du fond de leurs cabinets diplomatiques ou autour de la table d’un état-major, pouvaient la voir, non sur les champs de bataille où l’ivresse de l’enthousiasme trouble les idées, mais froidement, telle qu’elle se montre dans les hôpitaux et dans les cimetières ! À la vue de ces tristes épaves des combats, le jeune homme se représenta en imagination le globe terrestre comme un énorme navire voguant sur un océan infini. Les pauvres humains qui en formaient l’équipage ne savaient pas même ce qui existait sous leurs pieds, dans les profondeurs ; mais chaque