Page:Blasco-Ibáñez - Les Quatre Cavaliers de l’Apocalypse.djvu/220

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qu’on ne le prétend ? Je ne sache pas que la Vierge ait jamais fait d’apparition à Berlin…

À peine installé dans un hôtel, près de la rivière, Jules courut à la Grande-Hôtellerie transformée en hôpital. Il y apprit qu’il ne pourrait parler au directeur que dans l’après-midi. Afin de tromper son impatience, il alla se promener du côté de la Basilique.

La rue principale qui y conduit était bordée de baraquements et de magasins où l’on vendait des images et des souvenirs pieux, de sorte qu’elle ressemblait à un immense bazar. Dans les jardins qui entourent l’église, le voyageur ne vit que des blessés en convalescence, dont les uniformes gardaient les traces de la guerre. En dépit des coups de brosse répétés, les capotes étaient malpropres ; la boue, le sang, la pluie y avaient laissé des taches ineffaçables, avaient donné à l’étoffe une rigidité de carton. Quelques hommes en avaient arraché les manches pour épargner à leurs bras meurtris un frottement pénible. D’autres avaient encore à leurs pantalons les trous faits par des éclats d’obus. C’étaient des combattants de toutes armes et de races diverses : fantassins, cavaliers, artilleurs ; soldats de la métropole et des colonies ; faces blondes de Champenois, faces brunes de Musulmans, faces noires de Sénégalais aux lèvres bleuâtres ; corps d’aspect bonasse, avec l’obésité du bourgeois sédentaire inopinément métamorphosé en