Page:Blasco-Ibáñez - Les Quatre Cavaliers de l’Apocalypse.djvu/215

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

canons et beaucoup de mitrailleuses. Mais n’importe : on les aura.

La foi de ceux qui allaient au-devant de la mort contrastait avec la panique et les appréhensions de ceux qui s’enfuyaient de Paris. Un vieux monsieur décoré, type du fonctionnaire en retraite, demandait anxieusement à ses voisins :

— Croyez-vous qu’ils viendront jusqu’à Tours ?… Croyez-vous qu’ils viendront jusqu’à Poitiers ?…

Et, dans son désir de ne pas s’arrêter avant d’avoir trouvé pour sa famille et pour lui-même un refuge absolument sûr, il accueillait comme un oracle la vaine réponse qu’on lui adressait.

À l’aube, Jules put distinguer, le long de la ligne, les territoriaux qui gardaient les voies. Ils étaient armés de vieux fusils et portaient pour unique insigne militaire un képi rouge.

À la gare de Bordeaux, la foule des civils, en bataillant pour descendre des wagons ou pour y monter, se mêlait à la multitude des militaires. À chaque instant les trompettes sonnaient, et les soldats qui s’étaient écartés un instant pour aller chercher de l’eau ou pour se dégourdir les jambes, accouraient à l’appel. Parmi ces soldats il y avait beaucoup d’hommes de couleur : c’étaient des tirailleurs algériens ou marocains aux amples culottes grises, aux bonnets rouges coiffant des faces noires ou bronzées. Et les bataillons armés se mettaient