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de pelures de fruits s’était formée le long des demeures roulantes.

Jules éprouvait une profonde pitié pour ses nouveaux compagnons de voyage. Les femmes gémissaient de fatigue, debout dans le couloir, considérant avec une envie féroce ceux qui avaient la chance d’avoir une place sur la banquette. Les petits pleuraient avec des bêlements de chèvre affamée. Aussi le peintre renonça-t-il bientôt à ses avantages de premier occupant : il céda sa place à une vieille dame ; puis il partagea entre les imprévoyants et les nécessiteux l’abondante provision de comestibles dont Argensola avait eu soin de le munir.

Il passa la nuit dans le couloir, assis sur une valise, tantôt regardant à travers la glace les voyageurs qui dormaient dans l’abrutissement de la fatigue et de l’émotion, tantôt regardant au dehors les trains militaires qui passaient à côté du sien, dans une direction opposée. À chaque station on voyait quantité de soldats venus du Midi, qui attendaient le moment de continuer leur route vers la capitale. Ces soldats se montraient gais et désireux d’arriver vite aux champs de bataille ; beaucoup d’entre eux se tourmentaient parce qu’ils avaient peur d’être en retard. Jules, penché à une fenêtre, saisit quelques propos échangés par ces hommes qui témoignaient une inébranlable confiance.

— Les Boches ? Ils sont nombreux, ils ont de gros