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lité d’une foule qui fuit d’un théâtre incendié. Dans l’espace destiné à huit personnes il s’en installait douze ou quatorze ; les couloirs s’obstruaient irrémédiablement d’innombrables colis qui servaient de sièges aux nouveaux voyageurs. Les distances sociales avaient disparu ; les gens du peuple envahissaient de préférence les wagons de luxe, croyant y trouver plus de place ; et ceux qui avaient un billet de première classe cherchaient au contraire les wagons des classes inférieures, dans la vaine espérance d’y voyager plus à l’aise. Mais si les assaillants se bousculaient, ils ne s’en montraient pas moins tolérants les uns à l’égard des autres et se pardonnaient en frères. « À la guerre comme à la guerre ! », disaient-ils en manière de suprême excuse. Et chacun poussait son voisin pour lui prendre quelques pouces de banquette, pour introduire son maigre bagage entre les paquets qui surplombaient déjà les têtes dans le plus menaçant équilibre.

Sur les voies de garage, il y avait d’immenses trains qui attendaient depuis vingt-quatre heures le signal du départ. Ces trains étaient composés en partie de wagons à bestiaux, en partie de wagons de marchandises pleins de gens assis à même sur la plancher ou sur des chaises apportées du logis. Chacun de ces trains ressemblait à un campement prêt à se mettre en marche, et, depuis le temps qu’il restaient immobiles, une couche de papiers gras et