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Jules sentait renaître en lui l’héréditaire instinct de contradiction, et il répliqua froidement :

— C’est comme si je vous avais volé votre montre, et qu’ensuite je vous proposasse d’être bons amis et d’oublier le passé. Même si vous étiez enclin au pardon, encore faudrait-il qu’auparavant je vous rendisse votre montre.

Le capitaine voulut répondre tant de choses à la fois qu’il balbutia, sautant avec incohérence d’une idée à une autre. Comparer la reconquête de l’Alsace à un vol !… Une terre allemande !… La race !… La langue !… L’histoire !…

— Mais qu’est-ce qui prouve que l’Alsace a la volonté d’être allemande ? interrogea le jeune homme sans se départir de son calme. Quand lui avez-vous demandé son opinion ?

Le capitaine demeura incertain, comme s’il hésitait entre deux partis à prendre : tomber à coups de poing sur l’insolent, ou l’écraser de son mépris.

— Jeune homme, proféra-t-il enfin avec majesté, vous ne savez ce que vous dites. Vous êtes Argentin et vous n’entendez rien aux affaires de l’Europe.

Tous les assistants approuvèrent, dépouillant subitement Jules de la nationalité qu’ils lui attribuaient tout à l’heure. Quant au capitaine Erckmann, il lui tourna le dos avec une rudesse militaire, ramassa sur le tapis qu’il avait devant lui un jeu de cartes, et se mit à faire silencieusement une « réussite ».