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puis elle courait de rue en rue pour le suivre des yeux, ou s’immobilisait sur les places d’où elle observait à loisir ses évolutions.

Argensola était un habitué de ce spectacle. Dès quatre heures il arrivait sur la place de la Concorde, le nez en l’air et les regards fixés vers le ciel, en compagnie de plusieurs badauds avec lesquels une curiosité commune l’avait mis en relations, à peu près comme les abonnés d’un théâtre qui, à force de se voir, finissent par se lier d’amitié. « Viendra-t-il ? Ne viendra-t-il pas ? » Les femmes étaient les plus impatientes, et quelques-unes avaient la face rouge et la respiration oppressée pour être accourues trop vite. Tout à coup éclatait un immense cri : « Le voilà ! » Et mille mains indiquaient un point vague à l’horizon. Les marchands ambulants offraient aux spectateurs des instruments d’optique, et les jumelles, les longues-vues se braquaient dans la direction signalée.

Pendant une heure l’attaque aérienne se poursuivait, aussi acharnée qu’inutile. L’insecte ailé cherchait à s’approcher de la Tour Eiffel ; mais aussitôt des détonations éclataient à la base, et les diverses plates-formes crachaient les furibondes crépitations de leurs mitrailleuses. Alors il virait au-dessus de la ville, et soudain la fusillade retentissait sur les toits et dans les rues. Chacun tirait : les locataires des étages supérieurs, les hommes de garde, les soldats anglais et belges qui se trouvaient de passage à Paris. On