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de voitures et de meubles, qui obstruait la chaussée. Quelques dragons la gardaient, pied à terre et carabine au poing, surveillant le ruban blanc de la route qui montait entre deux collines couvertes d’arbres. Par instants résonnaient des coups de fusil isolés, semblables à des coups de fouet. « Ce sont les nôtres », disaient les dragons, La cavalerie avait ordre de conserver le contact avec l’ennemi, de lui opposer une résistance continuelle, de repousser les détachements allemands qui cherchaient à s’infiltrer le long des colonnes et de tirailler sans cesse contre les reconnaissances de uhlans.

Marcel considéra avec une profonde pitié les éclopés qui trimaient encore sur la route. Ils ne marchaient pas, ils se traînaient, avec la ferme volonté d’avancer, mais trahis par leurs jambes molles, par leurs pieds en sang. Ils s’asseyaient une minute au bord du chemin, harassés, agonisant de lassitude, pour respirer un peu sans avoir la poitrine écrasée par le poids du sac, pour délivrer un instant leurs pieds de l’étau des brodequins ; et, quand ils voulaient repartir, il leur était impossible de se remettre debout : la courbature leur ankylosait tout le corps, les mettait dans un état semblable à la catalepsie. Les dragons, revolver en main, étaient obligés de recourir à la menace pour les tirer de cette mortelle torpeur. Seule la certitude de l’approche de l’ennemi avait le pouvoir de rendre momentanément un peu de force à ces malheureux,