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rides et toutes les cavités, avec ces barbes hirsutes dont des poils étaient raides comme des épingles, avec cet air de lassitude qui révélait l’immense désir de faire halte, de s’arrêter là définitivement, d’y tuer ou d’y mourir sur place. Et pourtant ces soldats marchaient, marchaient toujours. Certaines étapes avaient duré trente heures. L’ennemi suivait pas à pas, et l’ordre était de se retirer sans repos ni trêve, de se dérober par la rapidité des pieds au mouvement enveloppant que tentait l’envahisseur. Les chefs devinaient l’état d’âme de leurs hommes ; ils pouvaient exiger d’eux le sacrifice de la vie ; mais il était bien plus dur de leur ordonner de marcher jour et nuit dans une fuite interminable, alors que ces hommes ne se considéraient pas comme battus, alors qu’ils sentaient gronder en eux la colère furieuse, mère de l’héroïsme. Les regards désespérés des soldats cherchaient l’officier le plus voisin, le lieutenant, le capitaine. On n’en pouvait plus ! Une marche énorme, exténuante, en si peu de jours ! Et pourquoi ? Les supérieurs n’en savaient pas plus que les inférieurs ; mais leurs yeux semblaient répondre : « Courage ! Encore un effort ! Cela, va bientôt finir. »

Les bêtes, vigoureuses mais dépourvues d’imagination, étaient moins résistantes que les hommes. Leur aspect faisait pitié. Était-il possible que ce fussent les mêmes chevaux musclés et lustrés que Marcel avait vus à Paris dans les premiers jours du