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ment, avec la prudence qui s’impose pour les matières explosives, les autres chargés de ballots et de caisses qui exhalaient une fade odeur de nourriture. Puis ce furent de grands troupeaux de bœufs, qui s’arrêtaient avec des remous aux endroits où le chemin se rétrécissait, et qui se décidaient enfin à passer sous le bâton et aux cris des pâtres coiffés de képis.

Marcel, tourmenté par ses pensées, ne ferma pas l’œil de la nuit. Ce qu’il venait de voir, c’était la retraite dont on parlait à Paris, mais à laquelle beaucoup de gens refusaient de croire : la retraite déjà poussée si loin et qui continuait plus loin encore son mouvement rétrograde, sans que personne pût dire l’endroit où elle s’arrêterait.

À l’aube, il s’endormit de fatigue et ne se réveilla que très tard dans la matinée. Son premier regard fut pour la route. Il la vit encombrée d’hommes et de chevaux ; mais, cette fois, les hommes armés de fusils formaient des bataillons, et ce que les chevaux traînaient, c’était de l’artillerie.

Hélas ! ces troupes étaient de celles qu’il avait vues naguère partir de Paris, mais combien changées ! Les capotes bleues s’étaient converties en nippes loqueteuses et jaunâtres ; les pantalons rouges avaient pris une teinte délavée de brique mal cuite ; les chaussures étaient des mottes de boue. Les visages avaient une expression farouche sous les ruisseaux de poussière et de sueur qui en accusaient toutes les