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feuilles le violet encore pâle de leurs grappes murissantes. Tout était si tranquille que Marcel sentait son optimisme renaître et oubliait presque les horreurs de la guerre.

Mais, dans l’après-dîner, un mouvement soudain se produisit au village, et Georgette, la fille du concierge, vint dire qu’il passait dans la grande rue beaucoup de soldats français et d’automobiles militaires. C’étaient des camions réquisitionnés, qui conservaient sous une couche de poussière et de boue durcie les adresses des commerçants auxquels ils avaient appartenu ; et, mêlés à ces véhicules industriels, il y avait aussi d’autres voitures provenant d’un service public : les grands autobus de Paris, qui portaient encore l’indication des trajets auxquels ils avaient été affectés, Madeleine-Bastille, Passy-Bourse, etc. Marcel les regarda comme on regarde de vieux amis aperçus au milieu d’une foule. Peut-être avait-il voyagé maintes fois dans telle ou telle de ces voitures déteintes, vieillies par vingt jours de service incessant, aux tôles gondolées, aux ferrures tordues, qui grinçaient de toutes leur carcasse disjointe et qui étaient trouées comme des cribles.

Certains véhicules avaient pour marques distinctives des cercles blancs marqués d’une croix rouge au centre ; sur d’autres, on lisait des lettres et des chiffres qu’il était impossible de comprendre, quand on n’était pas initié aux secrets de l’administration