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Cependant chaque jour apportait un flot de mauvaises nouvelles. Les journaux ne disaient pas grand’chose ; le Gouvernement ne parlait qu’en termes obscurs, qui inquiétaient sans renseigner. Néanmoins la triste vérité s’ébruitait, répandue sourdement par les alarmistes et par les espions demeurés dans Paris. On se communiquait à l’oreille des bruits sinistres : « Ils ont passé la frontière… Ils sont à Lille… » Et le fait est que les Allemands avançaient avec une effrayante rapidité.

Anglais et Français reculaient devant le mouvement enveloppant des envahisseurs. Quelques-uns s’attendaient à un nouveau Sedan. Pour se rendre compte de l’avance de l’ennemi, il suffisait d’aller à la gare du Nord : toutes les vingt-quatre heures, on y constatait le rétrécissement du rayon dans lequel circulaient les trains. Des avis annonçaient qu’on ne délivrait plus de billets pour telles et telles localités du réseau, et cela signifiait que ces localités étaient tombées au pouvoir de l’ennemi. Le rapetissement du territoire national s’accomplissait avec une régularité mathématique, à raison d’une quarantaine de kilomètres par jour, de sorte que, montre en main, on pouvait prédire l’heure à laquelle les premiers uhlans salueraient de leurs lances l’apparition de la Tour Eiffel.

Ce fut à ce moment d’universelle angoisse que Marcel retourna chez son ami Lacour pour lui adresser la plus extraordinaire des requêtes : il voulait aller