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lui semblait que cette velléité de faire le coup de feu réparait dans quelque mesure la honte de la fuite en Amérique.

Dans ses promenades à travers Paris, il rencontrait des bandes de réfugiés. C’étaient des habitants du Nord et de l’Est qui avaient fui devant l’invasion. Cette multitude douloureuse ne savait où aller, n’avait d’autre ressource que la charité publique ; et elle racontait mille horreurs commises par les Allemands dans les pays envahis : fusillements, assassinats, vols autorisés par les chefs, pillages exécutés par ordre supérieur, maisons et villages incendiés. Ces récits lui remuaient le cœur et faisaient naître peu à peu dans son esprit une idée naïve, mais généreuse. Le devoir des riches, des propriétaires qui possédaient de grands biens dans les provinces menacées, n’était-il pas d’être présents sur leurs terres pour soutenir le moral des populations, pour les aider de leurs conseils et de leur argent, pour tâcher de les protéger, lorsque l’ennemi arriverait ? Or ce devoir s’imposait à lui-même d’une façon d’autant plus impérieuse qu’il lui semblait avoir moins de danger personnel à courir : devenu quasi Argentin, il serait considéré par les officiers allemands comme un neutre ; à ce titre il pourrait faire respecter son château, où, le cas échéant, les paysans du village et des alentours trouveraient un refuge. Dès lors, le projet de se rendre à Villeblanche hanta son esprit.