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obtenue et maintenue à force de volonté, rendait plus apparente la robustesse de sa constitution, la grosseur de son ossature, ses mâchoires puissantes, ses dents larges, saines, splendides : des dents qui suggéraient au peintre l’irrévérencieuse tentation de la comparer mentalement à la silhouette sèche et dégingandée d’une jument de course. « Elle est mince, se disait-il en l’observant du coin de l’œil, et cependant elle est énorme. » Le mari, lui, admirait l’élégance de sa Bertha, toujours vêtue d’étoffes dont les couleurs indéfinissables faisaient penser à l’art persan et aux miniatures des manuscrits médiévaux ; mais il déplorait qu’elle ne lui eût pas donné d’enfants, et il regardait presque cette stérilité comme un crime de haute trahison. La patrie allemande était fière de la fécondité de ses femmes, et le kaiser, avec ses hyperboles d’artiste, avait posé en principe que la véritable beauté allemande doit avoir un mètre cinquante centimètres de ceinture.

Madame la Conseillère réservait volontiers à Jules Desnoyers un siège auprès du sien : car elle le tenait pour l’homme le plus « distingué » de tous les passagers. Le peintre était de taille moyenne, et son front brun se dessinait comme un triangle sous deux bandeaux de cheveux noirs, lisses, lustrés comme des planches de laque : précisément le contraire des hommes qui entouraient madame la Conseillère. Au surplus, il habitait Paris, la ville qu’elle n’avait pas