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de la bête humaine excitée par l’alcool et sûre de l’impunité. Quelques octogénaires racontaient, les larmes aux yeux, comment les soldats d’un peuple qui se prétend civilisé coupaient les seins des femmes pour les clouer aux portes, promenaient en guise de trophée un nouveau-né embroché à une baïonnette, fusillaient les vieux dans le fauteuil où leur vieillesse impotente les retenait immobiles, après les avoir torturés par de burlesques supplices.

Ils s’étaient sauvés sans savoir où ils allaient, poursuivis par l’incendie et la mitraille, fous de terreur, de la même manière qu’au moyen âge les populations fuyaient devant les hordes des Huns et des Mongols ; et cet exode lamentable, ils l’avaient accompli au milieu de la nature en fête, dans le mois le plus riant de l’année, alors que la terre était dorée d’épis, alors que le ciel d’août resplendissait de joyeuse lumière et que les oiseaux célébraient par l’allégresse de leurs chants l’opulence des moissons. L’aspect des fugitifs entassés dans ce cirque portait témoignage contre l’atrocité du crime commis. Les bébés gémissaient comme des agneaux qui bêlent ; les hommes regardaient autour d’eux d’un air égaré ; quelques femmes hurlaient comme des démentes. Dans la confusion de la fuite, les familles s’étaient dispersées. Une mère de cinq petits n’en avait plus qu’un. Des pères, demeurés seuls, pensaient avec angoisse à leur femme et à leurs enfants disparus. Les