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aurait été obligé d’aller au front. Comme auxiliaire, il ne pouvait prétendre qu’au modeste titre de simple soldat et n’avait à s’acquitter que de vulgaires besognes d’intendance, par exemple de compter des pains ou de mettre en paquet des capotes ; mais il ne sortirait pas de Paris.

Un jour, Marcel Desnoyers put apprécier à Paris même les horreurs de la guerre. Trois mille fugitifs belges étaient logés provisoirement dans un cirque, en attendant qu’on les envoyât dans les départements. Il alla les voir.

Le vestibule était encore tapissé des affiches des dernières représentations données avant la guerre ; mais, dès que Marcel eut franchi la porte, il fut pris aux narines par un miasme de foule malade et misérable : à peu près l’odeur infecte que l’on respire dans un bagne ou dans un hôpital pauvre. Les gens qu’il trouva là semblaient affolés ou hébétés par la souffrance. L’affreux spectacle de l’invasion persistait dans leur mémoire, l’occupait tout entière, n’y laissait aucune place pour les événements qui avaient suivi. Ils croyaient voir encore l’irruption des hommes casqués dans leurs villages paisibles, les maisons flambant tout à coup, la soldatesque tirant sur les fuyards, les enfants aux poignets coupés, les femmes agonisant sous la brutalité des outrages, les nourrissons déchiquetés à coups de sabre dans leurs berceaux, les mères aux entrailles ouvertes, tous les sadismes