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cadeau de son grand-père ; et, cela fait, il lui semblait qu’elle entendait l’énorme soupir des millions de femmes délivrées par elle de cet abominable cauchemar. Sa furie vengeresse ne s’arrêtait pas en si beau chemin ; elle poignardait aussi le Kronprinz ; elle poignardait les généraux et les amiraux ; elle aurait volontiers poignardé ses cousins les Hartrott : car ils étaient du côté des agresseurs, et, à ce titre, ils ne méritaient aucune pitié.

— Tais-toi donc ! lui disait sa mère. Tu es folle Comment une jeune fille bien élevée peut-elle dire de pareilles sottises ?

Lorsque le fiancé de Chichi, René Lacour, se présenta pour la première fois devant elle en uniforme, le lendemain du jour où il avait été mobilisé, elle lui fit un accueil enthousiaste, l’appela « son petit soldat de sucre » ; et, les jours suivants, elle fut fière de sortir dans la rue en compagnie de ce guerrier dont l’aspect était pourtant assez peu martial. Grand et blond, doux et souriant, René avait dans toute sa personne une délicatesse quasi féminine, à laquelle l’habit militaire donnait un faux air de travesti. Par le fait, il n’était soldat qu’à moitié : car son illustre père, craignant que la guerre n’éteignît à jamais la dynastie des Lacour, si précieuse pour l’État, l’avait fait verser dans les services auxiliaires. En sa qualité d’élève de l’École centrale, René aurait pu être nommé sous-lieutenant ; mais alors il