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être, sur la véritable frontière, à la porte de la maison. Mais cet ennemi lâche et perfide, au lieu d’attaquer de face, avait attaqué par derrière en escaladant les murs comme un voleur. Infâme traîtrise qui ne lui servirait à rien : car Joffre saurait lui barrer le passage. Déjà quelques troupes avaient été envoyées au secours de la Belgique, et elles auraient vite fait de régler le compte des Allemands. On les écraserait, ces bandits, pour qu’il ne leur fût plus possible de troubler la paix du monde, et leur empereur aux moustaches en pointe, on l’exposerait dans une cage sur la place de la Concorde.

Chichi, encouragée par les propos paternels, renchérissait encore sur cet optimisme puéril. Une ardeur belliqueuse s’était emparée d’elle. Ah ! si les femmes pouvaient aller à la guerre ! Elle se voyait dans un régiment de dragons, chargeant l’ennemi en compagnie d’autres amazones aussi hardies et aussi belles qu’elle-même. Ou encore elle se figurait être un de ces chasseurs alpins qui, la carabine en bandoulière et l’alpenstock au poing, glissaient sur leurs longs skis dans les neiges des Vosges. Mais ensuite elle ne voulait plus être ni dragon, ni chasseur alpin ; elle voulait être une de ces femmes héroïques qui ont tué pour accomplir une œuvre de salut. Elle rêvait qu’elle rencontrait le Kaiser seul à seule, qu’elle lui plantait dans la poitrine une petite dague à poignée d’argent et à fourreau ciselé,