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À un troisième rendez-vous, elle lut à Jules une lettre que son frère lui avait envoyée des Vosges. Il y parlait de Laurier plus que de lui-même. Les deux officiers appartenaient à des batteries différentes ; mais ces batteries étaient de la même division, et ils avaient pris part ensemble à plusieurs combats, Le frère de Marguerite ne cachait pas l’admiration qu’il ressentait pour son beau-frère. Cet ingénieur tranquille et taciturne avait vraiment l’étoffe d’un héros ; tous les officiers qui avaient vu Laurier à l’œuvre avaient de lui la même opinion. Cet homme affrontait la mort avec autant de calme que s’il eut été à diriger encore sa fabrique des environs de Paris ; il réclamait toujours le poste le plus dangereux, celui d’observateur, et il se glissait le plus près possible des positions ennemies, afin de surveiller et de rectifier l’exactitude du tir. Jeudi dernier, un obus allemand avait démoli la maison sous le toit de laquelle il se cachait ; sorti indemne d’entre les décombres, il avait aussitôt rajusté son téléphone et s’était installé tranquillement dans les branches d’un arbre, pour continuer son service. Sa batterie, découverte par les aéroplanes ennemis au cours d’un combat défavorable, avait reçu les feux concentrés de l’artillerie adverse, et un quart d’heure avait suffi pour que la plus grande partie du personnel fût mise hors de combat : le capitaine et plusieurs servants tués, les autres officiers et presque tous les hommes blessés. Alors Laurier, prenant le comman-