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public d’aller plus loin. Là, elle avait eu le cœur serré d’une extraordinaire angoisse, mais aussi d’un noble orgueil. Jamais elle n’aurait cru qu’elle aimât tant son frère.

— Il était si beau dans son uniforme de lieutenant ! ajouta-t-elle. J’étais si fière de l’accompagner, si fière de lui donner le bras. Il me paraissait un héros. Cela dit, elle se tut, de l’air de quelqu’un qui aurait encore quelque chose à dire, mais qui craindrait de parler ; et finalement elle se décida à continuer son récit. Au moment où elle donnait à son frère un dernier baiser, elle avait eu une grande surprise et une grande émotion. Elle avait aperçu son mari Laurier, habillé, lui aussi, en officier d’artillerie, qui arrivait avec un homme de peine portant sa valise.

— Laurier soldat ? interrompit Jules d’une voix sarcastique. Le pauvre diable ! Quel aspect ridicule il devait avoir !

Cette ironie avait quelque chose de lâche, dont il sentit lui-même l’inconvenance à l’égard d’un homme qui accomplissait son devoir de citoyen ; mais il était irrité de ce que Marguerite parlait de son mari sans aigreur. Elle hésita une seconde à répondre ; puis l’instinct de sincérité fut le plus fort, et elle dit :

— Non, il n’avait pas mauvaise apparence… Il n’était plus le même, et d’abord je ne le reconnaissais point… il fit quelques pas vers mon frère