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ments. Il n’était personne qui n’eût les poches bourrées de papiers et qui n’attendît avec impatience l’occasion de les emplir encore davantage. Et pourtant toutes ces feuilles disaient à peu près la même chose.

Argensola eut la sensation d’une âme neuve qui se formait en lui : âme simple, enthousiaste et crédule, capable d’admettre les bruits les plus invraisemblables ; et il devinait l’existence de cette même âme chez tous ceux qui l’entouraient. Par moments, son ancien esprit critique faisait mine de se cabrer ; mais le doute était repoussé aussitôt comme quelque chose de honteux. Il vivait dans un monde nouveau, et il lui semblait naturel qu’il y arrivât des prodiges. Il commentait avec une puérile allégresse les récits fantastiques des journaux : combats d’un peloton de Français ou de Belges contre des régiments entiers qui prenaient la fuite ; miracles accomplis par le canon de 75, un vrai joyau ; charges à la baïonnette, qui faisaient courir les Allemands comme des lièvres dès que les clairons avaient sonné ; inefficacité de l’artillerie ennemie, dont les obus n’éclataient pas. Il trouvait naturel et rationnel que la petite Belgique triomphât de la colossale Allemagne : c’était la répétition de la lutte de David et de Goliath, lutte rappelée par lui avec toutes les images et toutes les métaphores qui, depuis trente siècles, ont servi à décrire cette rencontre inégale. Il avait la mentalité