Page:Blasco-Ibáñez - Les Quatre Cavaliers de l’Apocalypse.djvu/155

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tine de son fils ; et, au moment de la séparation, elle s’était contentée de lui dire : « Adieu, mon enfant. Sois prudent, mais accomplis ton devoir. » Pas une larme, pas une défaillance. Marguerite avait accompagné son frère à la gare, et, lorsqu’elle était rentrée à la maison, elle avait trouvé la vieille mère assise dans son fauteuil, blême, farouche, évitant de parler de son propre fils, mais s’apitoyant sur ses amies dont les fils étaient partis à l’armée, comme si celles-là seulement connaissaient la torture du départ. Dans un post-scriptum, Marguerite promettait à Jules de lui donner un nouveau rendez-vous la semaine suivante.

En attendant, Jules fut d’une humeur détestable. À l’ennui de ne pas voir Marguerite s’ajoutait l’ennui de ne pouvoir, à cause du moratorium, toucher le chèque de quatre cent mille francs qu’il avait rapporté de l’Argentine. Possesseur de cette somme considérable, il était presque à court d’argent, puisque les banques refusaient de la lui payer. Quant à Argensola, il ne s’embarrassait guère de cette pénurie et savait trouver tout ce qu’il fallait pour les besoins du ménage. Son centre d’inépuisable ravitaillement était à l’avenue Victor-Hugo. La mère de Jules, — comme beaucoup d’autres maîtresses de maison, qui, en prévision d’un siège possible, dévalisaient les magasins de comestibles afin de se prémunir contre la disette future, — avait accumulé