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un billet de vingt francs et qui s’éloignait aussitôt, tandis qu’ils le regardaient avec des yeux ébahis. Des ouvrières en larmes, qui venaient de dire adieu à leurs hommes, virent le même vieux monsieur sourire aux petits enfants qui marchaient à côté d’elles, caresser les joues des bambins, puis s’en aller très vite en laissant dans la menotte d’un des marmots une pièce de cent sous.

Marcel, qui n’avait jamais fumé, se mit à fréquenter les débits de tabac. Il en sortait les mains et les poches pleines, pour combler de cigarettes et de cigares le premier soldat qu’il rencontrait. Quelquefois le favorisé souriait courtoisement, remerciait par une phrase qui dénotait l’éducation supérieure, et repassait le cadeau à un camarade dont la capote était aussi grossière et aussi mal coupée que la sienne. Le service obligatoire était cause de ces petites erreurs.

Pour se donner l’amère volupté d’aviver son remords, Marcel continuait à venir souvent rôder aux alentours de la gare de l’Est. Comme le gros des troupes opérait maintenant sur la frontière, ce n’étaient plus des bataillons entiers qui s’y embarquaient ; mais pourtant l’animation y était encore grande. Jour et nuit, quantité de soldats affluaient, soit isolément, soit par groupes : réservistes sans uniformes qui rejoignaient leurs régiments, officiers occupés jusqu’alors à l’organisation de l’arrière, com-