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et, pour être soldat, il faut être jeune. Tout le monde est capable de tirer un coup de fusil, et le courage ne lui manquait pas pour se battre ; mais le combat n’est qu’un incident de la lutte. Ce qu’il y a de pénible et d’accablant, ce sont les opérations qui précèdent le combat, les marches interminables, les rigueurs de la température, les nuits passées à la belle étoile, le labeur de remuer la terre, d’ouvrir les tranchées, de charger les chariots, de supporter la faim et la soif. Non, il était trop tard pour qu’il pût s’acquitter de sa dette de cette manière-là.

Et il n’avait pas même la douloureuse, mais noble satisfaction qu’ont les autres pères, trop vieux pour offrir leurs services personnels à la patrie, de lui donner leurs fils comme défenseurs. Son fils, à lui, n’était pas Français et n’avait pas à répondre de la dette paternelle. Marcel, ayant eu le tort de fonder sa famille à l’étranger, n’avait pas le droit, dans les présentes circonstances, de demander à Jules de faire ce que lui-même n’avait pas fait jadis. L’une des conséquences les plus pénibles de la faute ancienne était que le père et le fils fussent de nationalités différentes. Cela ne constituait-il pas en quelque sorte une seconde trahison et une récidive d’apostasie ?

Voilà pourquoi, les jours suivants, beaucoup de mobilisés pauvrement vêtus, qui se rendaient seuls aux gares, rencontrèrent un vieux monsieur qui les arrêtait avec timidité, qui leur glissait dans la main