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homme qui naît a des obligations envers son pays, envers le groupe humain au milieu duquel il est né, et, le cas échéant, il a le devoir précis de s’acquitter de ces obligations avec ses bras et même par le sacrifice de sa personne. Or, en 1870, Marcel, au lieu de remplir son devoir de débiteur, avait pris la fuite, avait trahi sa nation et ses pères. Cela lui avait réussi, puisqu’il avait acquis des millions à l’étranger ; mais n’importe : il y a des fautes que les millions n’effacent pas, et l’inquiétude de sa conscience lui en donnait aujourd’hui la preuve. À la vue de tous ces Français qui se levaient en masse pour défendre leur patrie, il se sentait pris de honte ; devant les vétérans de 1870 qui montraient fièrement à leur boutonnière le ruban vert et noir et qui avaient sans doute participé aux privations du siège de Paris et aux défaites héroïques, il pâlissait. En vain cherchait-il des raisons pour apaiser son tourment intérieur ; en vain se disait-il que les deux époques étaient bien différentes, qu’en 1870 l’Empire était impopulaire, qu’alors la nation était divisée, que tout était perdu. Le souvenir d’un mot célèbre se représentait malgré lui à sa mémoire comme une obsession : « Il restait la France ! »

Un moment, l’idée lui vint de s’engager en qualité de volontaire et de partir comme son menuisier, la musette au flanc, mêlé à un peloton de futurs soldats. Mais quels services pourrait-il rendre ? Il avait beau être robuste encore ; il avait dépassé la soixantaine.