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En dépit de son vêtement de panne et de sa musette de toile, il avait le même aspect grandiose que les figures de Rude dans le bas-relief du Départ. Son « associée » et son petit garçon trottaient à côté de lui, pour lui faire la conduite jusqu’à la gare. Le châtelain suivit d’un œil respectueux cet homme qui lui paraissait extraordinairement grandi par le seul fait d’appartenir à ce torrent humain ; mais dans ce respect il y avait aussi quelque malaise, et, en regardant son menuisier, il éprouvait une sorte d’humiliation.

Marcel voyait tout son passé se dresser devant lui avec une netteté étrange, comme si une brise soudaine eût dissipé les brouillards qui jusqu’alors l’enveloppaient d’ombre. Cette terre de France, aujourd’hui menacée, était son pays natal. Quinze siècles d’histoire avaient travaillé pour son bien à lui, pour qu’en arrivant au monde il y jouît de commodités et de progrès que n’avaient point connus ses ancêtres. Maintes générations de Desnoyers avaient préparé l’avènement de Marcel Desnoyers à l’existence en bataillant sur cette terre, en la défendant contre les ennemis ; et c’était à cela qu’il devait le bonheur d’être né dans une patrie libre, d’appartenir à un peuple maître de ses destinées, à une famille affranchie de la servitude. Et, quand son tour était venu de continuer cet effort, quand ç’avait été à lui de procurer le même bien aux générations à venir, il s’était dérobé comme un débiteur qui refuse de payer sa dette. Tout