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Ces propos rendirent Marcel pensif. Un homme comme cet ouvrier, qui n’avait aucun bien matériel à défendre et qui était l’adversaire des institutions existantes, allait gaillardement affronter la mort pour un idéal généreux et lointain ; et cet homme, en faisant cela, n’hésitait pas à sacrifier ses idées les plus chères, les convictions que jusqu’alors il avait caressées avec amour ; tandis que lui, le millionnaire, qui était un des privilégiés de la fortune et qui avait à défendre tant de biens précieux, ne savait que s’abandonner au doute et à la critique !…

Dans l’après-midi, Marcel rencontra son menuisier près de l’Arc de Triomphe. Robert faisait partie d’un groupe d’ouvriers qui semblaient être du même métier que lui, et ce groupe partait en compagnie de beaucoup d’autres qui représentaient à peu près toutes les classes de la société : des bourgeois bien vêtus, des jeunes gens fins et anémiques, des plumitifs à la face pâle et aux grosses lunettes, des prêtres jeunes qui souriaient avec une légère malice, comme s’ils se trouvaient compromis dans une escapade. À la tête de ce troupeau humain marchait un sergent ; à l’arrière-garde, plusieurs soldats, le fusil sur l’épaule. Un rugissement musical, une mélopée grave et menaçante s’élevait de cette phalange aux bras ballants, aux jambes qui s’ouvraient et se fermaient comme des compas. En avant les réservistes !

Robert entonnait avec énergie le refrain guerrier.