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gris. » Mais, par curiosité, il interrogea de nouveau :

— Et quelle est cette Bête ?

Le Russe parut surpris de la question. Il n’avait exprimé à haute voix que la fin de ses rêvasseries, et il croyait les avoir communiquées à ses compagnons depuis le début.

— C’est la Bête de l’Apocalypse, répondit-il.

Et d’abord il éprouva le besoin d’exprimer verbalement l’admiration que lui inspirait l’halluciné de Pathmos. À deux mille ans d’intervalle, le poète des visions grandioses et obscures exerçait encore de l’influence sur le révolutionnaire mystique, niché au plus haut étage d’une maison de Paris. Selon Tchernoff, il n’était rien que Jean n’eût pressenti, et ses délires, inintelligibles au vulgaire, contenaient la prophétique intuition de tous les grands événements humains.

Puis le Russe décrivit la Bête apocalyptique surgissant des profondeurs de la mer. Elle ressemblait à un léopard ; ses pieds étaient comme ceux d’un ours et sa gueule comme celle d’un lion ; elle avait sept têtes et dix cornes, et sur les cornes dix diadèmes, et sur chacune des sept têtes le nom d’un blasphème était écrit. L’évangéliste n’avait pas dit ces noms, peut-être parce qu’ils variaient selon les époques et changeaient à chaque millénaire, lorsque la Bête faisait une apparition nouvelle ; mais Tchernoff lisait sans peine ceux qui flamboyaient aujourd’hui sur les têtes