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rouges ou blancs, entre de hautes berges formées par les maisons construites en bordure. Mais, familiarisés avec le panorama, il leur semblait qu’ils voyaient, malgré les ténèbres, la pente majestueuse de l’avenue, la double rangée des palais qui la bordent, la place de la Concorde avec son obélisque, et, dans le fond, les arbres du jardin des Tuileries : toute la Voie triomphale.

Tchernoff, Argensola et Jules prirent par l’avenue Victor-Hugo pour rentrer chez eux. Sous le porche, le Russe, qui devait remonter chez lui par l’escalier de service, souhaita le bonsoir à ses compagnons ; mais Jules avait pris goût à l’éloquence un peu fantasque de cet homme, et il le pria de venir à l’atelier pour y poursuivre l’entretien. Argensola n’eut pas de peine à lui faire accepter cette invitation en parlant de déboucher une certaine bouteille de vin fin qu’il gardait dans le buffet de la cuisine. Ils montèrent donc tous les trois à l’atelier par l’ascenseur et s’installèrent autour d’une petite table, près du balcon aux fenêtres grandes ouvertes. Ils étaient dans la pénombre, le dos tourné à l’intérieur de la pièce, et un énorme rectangle de bleu sombre, criblé d’astres, surmontait les toits des maisons qu’ils avaient devant eux ; mais, dans la partie basse de ce rectangle, les lumières de la ville donnaient au ciel des teintes sanglantes.

Tchernoff but coup sur coup deux verres de vin,