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critique. Mais extérieurement il ne porte aucun nom ; il a été élevé à la mémoire de la Grande Armée, et cette Grande Armée fut le peuple même, le peuple qui fit la plus juste des révolutions et qui la répandit par les armes dans l’Europe entière. Les guerriers de Rude qui entonnent la Marseillaise ne sont pas des soldats professionnels ; ce sont des citoyens armés qui partent pour un sublime et violent apostolat. Il y a là quelque chose de plus que la gloire étroite d’une seule nation. Voilà pourquoi je ne puis penser sans horreur au jour néfaste où a été profanée la majesté d’un tel monument. À l’endroit où nous sommes, des milliers de casques à pointe ont étincelé au soleil, des milliers de grosses bottes ont frappé le sol avec une régularité mécanique, des trompettes courtes, des fifres criards, des tambours plats ont troublé le silence de cet édifice ; la marche guerrière de Lohengrin a retenti dans l’avenue déserte, devant les maisons fermées. Ah ! s’ils revenaient, quel désastre ! L’autre fois, ils se sont contentés de cinq milliards et de deux provinces ; aujourd’hui, ce serait une calamité beaucoup plus terrible, non seulement pour les Français, mais pour tout ce qu’il y a de nations honnêtes dans le monde.

Ils traversèrent la place. Arrivés sous la voûte de l’Arc, ils se retournèrent pour regarder les Champs-Elysées. Ils ne voyaient qu’un large fleuve d’obscurité sur lequel flottaient des chapelets de petits feux