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une distraction qui aidait les passagers à tromper l’ennui de la traversée et qui servait à la propagande germanique.

Tandis que les musiciens promenaient aux divers étages du navire une Marseillaise galopante, suante et mal peignée, les groupes les plus matineux commentaient l’événement.

— Quelle délicate attention, disaient les dames sud-américaines. Ces Allemands ne sont pas aussi vulgaires qu’ils le paraissent. Et il y a des gens qui croient que l’Allemagne et la France vont se battre !

Ce jour-là, les Français peu nombreux qui se trouvaient sur le paquebot grandirent démesurément dans la considération des autres voyageurs. Ils n’étaient que trois : un vieux joaillier qui revenait de visiter ses succursales d’Amérique, et deux demoiselles qui faisaient la commission pour des magasins de la rue de la Paix, vestales aux yeux gais et au nez retroussé, qui se tenaient à distance et qui ne se permettaient jamais la moindre familiarité avec les autres passagers, beaucoup moins bien élevés qu’elles. Le soir, il y eut un dîner de gala. Au fond de la salle à manger, le drapeau français et celui de l’empire formaient une magnifique et absurde décoration. Tous les Allemands avaient endossé le frac, et les femmes exhibaient la blancheur de leurs épaules. Les livrées des domestiques étaient celles des grandes fêtes. Au dessert, un couteau carillonna sur un verre,