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bras et empoignait le marteau qui lui sert à écraser les villes ; Wotan affilait sa lance, qui a pour lame l’éclair et pour pommeau le tonnerre ; Odin à l’œil unique bâillait de malefaim en attendant les morts qui s’amoncelleraient autour de son trône ; les Walkyries, vierges échevelées, suantes et malodorantes, galopaient de nuage en nuage, excitant les hommes par des clameurs farouches et se préparant à emporter les cadavres jetés comme des bissacs sur la croupe de leurs chevaux ailés.

Argensola interrompit cette tirade pour faire observer que l’orgueil allemand ne s’appuyait pas seulement sur cet inconscient paganisme, mais qu’il croyait avoir aussi pour lui le prestige de la science.

— Je sais, je sais ! répondit Tchernoff sans laisser à l’autre le temps de développer sa pensée. Les Allemands sont pour la science de laborieux manœuvres. Confinés chacun dans sa spécialité, ils ont la vue courte, mais le labeur tenace ; ils ne possèdent pas le génie créateur, mais ils savent tirer parti des découvertes d’autrui et s’enrichir par l’application industrielle des principes qu’eux-mêmes étaient incapables de mettre en lumière. Chez eux l’industrie l’emporte de beaucoup sur la science pure, l’âpre amour du gain sur la pure curiosité intellectuelle ; et c’est même la raison pour laquelle ils commettent si souvent de lourdes méprises et mêlent tant de charlatanisme à leur science. En Allemagne les grands