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Kultur, lui, a travaillé des années et des années à construire et à graisser une effroyable machine de destruction pour écraser l’Europe. Le Russe est un chrétien humble, démocrate, altéré de justice ; l’Allemand fait montre de christianisme, mais il n’est qu’un idolâtre comme les Germains d’autrefois.

Ici Tchernoff s’arrêta une seconde, comme pour préparer ses auditeurs à entendre une déclaration extraordinaire.

— Moi, reprit-il, je suis chrétien.

Argensola, qui connaissait les idées et l’histoire du Russe, fit un geste d’étonnement. Tchernoff surprit ce geste et crut devoir donner des explications.

— Il est vrai, dit-il, que je ne m’occupe guère de Dieu et que je ne crois pas aux dogmes ; mais mon âme est chrétienne comme celle de tous les révolutionnaires. La philosophie de la démocratie moderne est un christianisme laïc. Nous les socialistes, nous aimons les humbles, les besogneux, les faibles ; nous défendons leur droit à la vie et au bien-être, comme l’ont fait les grands exaltés de la religion qui dans tout malheureux voyaient un frère. Il n’y a qu’une différence : c’est au nom de la justice que nous réclamons le respect pour le pauvre, tandis que les chrétiens réclament le respect au nom de la pitié. Mais d’ailleurs, les uns comme les autres, nous tâchons de faire que les hommes s’entendent afin d’arriver à une vie meilleure, que le fort fasse des sacrifices