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éclat de rire qui résonna comme un cliquetis de castagnettes. Après quoi, il poursuivit :

— Mais la Russie est bien plus civilisée que l’Allemagne ! La vraie civilisation ne consiste pas seulement à posséder une grande industrie, des flottes, des armées, des universités où l’on n’enseigne que la science. Cela, c’est une civilisation toute matérielle. Il y en a une autre, beaucoup meilleure, qui élève l’âme et qui fait que la dignité humaine réclame ses droits. Un citoyen suisse qui, dans son chalet de bois, s’estime l’égal de tous les hommes de son pays, est plus civilisé que le Herr Professor qui cède le pas à un lieutenant ou que le millionnaire de Hambourg qui se courbe comme un laquais devant quiconque porte un nom à particule. Je ne nie pas que les Russes aient eu à souffrir d’une tyrannie odieuse ; j’en sais personnellement quelque chose ; je connais la faim et le froid des cachots ; j’ai vécu en Sibérie. Mais d’une part, il faut prendre garde que, chez nous, la tyrannie est principalement d’origine germanique ; la moitié de l’aristocratie russe est allemande ; les généraux qui se distinguent le plus en faisant massacrer les ouvriers grévistes et les populations annexées sont allemands ; les hauts fonctionnaires qui soutiennent le despotisme et qui conseillent la répression sanglante, sont allemands. Et d’autre part, en Russie, la tyrannie a toujours vu se dresser devant elle une protestation révolution-