Page:Blasco-Ibáñez - Les Quatre Cavaliers de l’Apocalypse.djvu/120

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ques coups de chapeau sous le porche ; mais l’émotion dispose les âmes à la sympathie. Quant à Tchernoff, qui n’était jamais gêné avec personne, il eut vis-à-vis de Jules absolument la même attitude que s’il l’avait connu depuis sa naissance. Il reprit donc le cours des raisonnements qu’il adressait tout à l’heure aux masses de noire végétation, aux bancs solitaires, à l’ombre verte trouée çà et là par la lueur tremblante des becs de gaz, et il les reprit à l’endroit même où il les avait interrompus, sans prendre la peine de donner à ses nouveaux auditeurs la moindre explication.

— En ce moment, grommela le Russe, ils crient avec la même fièvre que ceux d’ici ; ils croient de bonne foi qu’ils vont défendre leur patrie attaquée ; ils veulent mourir pour leurs familles et pour leurs foyers, que personne ne menace…

— De qui parlez-vous, Tchernoff ? interrogea Argensola.

— D’eux ! répondit le Russe en regardant fixement son interlocuteur, comme si la question l’eût étonné. J’ai vécu dix ans en Allemagne, j’ai été correspondant d’un journal de Berlin, et je connais à fond ces gens-là. Eh bien, ce qui se passe à cette heure sur les bords de la Seine se passe aussi sur les bords de la Sprée : des chants, des rugissements de patriotisme, des drapeaux qu’on agite. En apparence c’est la même chose ; mais, au fond, quelle diffé-