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longeait jusqu’à une heure avancée, avec le drapeau national flottant au-dessus des têtes parmi d’autres drapeaux qui lui faisaient escorte.

Dans une de ces nuits de sincère exaltation, les deux amis apprirent une nouvelle inattendue, incompréhensible, absurde : on venait d’assassiner Jaurès. Cette nouvelle, on la répétait dans les groupes avec un étonnement qui était plus grand encore que la douleur. « On a assassiné Jaurès ? Et pourquoi ? » Le bon sens populaire qui, par instinct, cherche une explication à tous les attentats, demeurait perplexe. Les hommes d’ordre redoutaient une révolution. Jules Desnoyers craignit un moment que les sinistres prédictions de son cousin Otto ne fussent sur le point de s’accomplir ; cet assassinat allait provoquer des représailles et aboutirait à une guerre civile. Mais les masses populaires, quoique cruellement affligées de la mort de leur héros favori, gardaient un tragique silence. Il n’était personne qui, par delà ce cadavre, n’aperçût l’image auguste de la patrie.

Le matin suivant, le danger s’était évanoui. Les ouvriers parlaient de généraux et de guerre, se montraient les uns aux autres leurs livrets de soldats, annonçaient la date à laquelle ils partiraient, lorsque l’ordre de mobilisation aurait été publié.

Les événements continuaient à se succéder avec une rapidité qui n’était que trop significative. Les Alle-