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huit ans, je pensais comme toi. À quarante, tu le vois, je me contente de réussir mes confitures. Tu feras comme moi et je te donne rendez-vous d’ici à dix ans, si je vis, auprès de la bassine où cuiront tes marmelades de fruits cueillis à Sennecey, dans ton propre jardin. »

— Mais quel est le rapport entre votre extravagance et les confitures ? demanda Cécile qui ne pouvait s’empêcher de rire.

— Le rapport est direct et c’est là que gît mon secret, répondit Reine vivement. Je suis née à Sennecey, je n’ai de ma vie quitté, pour ainsi dire, l’arrondissement. Depuis que je suis sortie de pension, mon père me promet un voyage en pays lointain — ne riez pas — il s’agit de Lyon… et ce projet ne se réalise pas plus que s’il m’eût promis une ascension en ballon devant me mener tout droit dans la lune. Vous supposez bien, n’est-ce pas ? que si petite que soit la somme d’instruction que j’ai reçue, on m’a montré la géographie. Eh bien ! mon secret, c’est que je m’ennuie de penser que tant de gens font le tour du monde, y voient tout ce qu’il y a de curieux, et que moi je n’ai pas même la liberté d’un écureuil qui peut sauter d’arbre en arbre d’un bout à l’autre d’une forêt, et que je suis comme un pieu planté en terre, condamné à rester là où on l’a enfoncé… Tenez, Cécile, voilà mon portrait fidèle, ajouta la jeune fille en frappant de la main un des supports sur lesquels se treillageait la tonnelle. Mais ce pieu est mort, et moi qui n’ai pas