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m’occupais que de faire prospérer mes biens ; je tirais gloire de mon activité, de mes travaux ; chaque jour m’apportait sa besogne et son profit, et j’allais ainsi sans penser qu’il viendrait un temps où tout serait fini pour moi, où ces terres que j’ai améliorées devraient aller à d’autres. À force de vivre, les gens âgés en oublient l’échéance de la mort et…

— Monsieur, qu’allez-vous penser là ! s’écria Mme Trassey. Le docteur affirme que d’ici à peu de mois vous pourrez vous soutenir sur votre jambe malade, et il vous a répété souvent que vous êtes du bois dont les octogénaires sont faits. Vous avez encore des années devant vous.

— Allons, allons, Jeanne-Marie, dit le vieillard en souriant, vous voulez m’amuser d’espérances ; mais vous êtes trop bonne chrétienne pour nier que de telles réflexions ne soient salutaires à mon âge. Mon accident a été providentiel dans ce sens. Dans mon inaction forcée, j’ai pu réfléchir ; je me suis mis en règle vis-à-vis de moi-même, comme il sied à tout honnête homme qui doit juger sa vie et l’équilibrer de son mieux ; mais il me reste à faire ce que j’avais négligé lorsque je me laissais porter par le courant de l’existence.

Il se tut quelques instants et ajouta sans transition appréciable pour Mme Trassey :

— Par conséquent, j’ai besoin d’apprendre ce que vous disait le docteur.

— Après tout, reprit Mme Trassey, ce n’est pas assez grave pour vous irriter contre M. Cruzillat,