Page:Blandy - Un oncle a heritage.djvu/118

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

« Si l’on pouvait faire ce qu’on veut en ce monde, si j’étais libre, je m’en irais, non pas à Sennecey, mais quelque part autour, à Saint-Cyr ou à Beaumont ou à Lalheux ; j’emprunterais à une paysanne sa robe de cotonnade et sa capeline de percale à fleurs ; avec un panier au bras, dans lequel danserait mon couteau, j’irais me louer comme les autres chez mon oncle. Cette fois je tiendrais ma range et j’aurais grand’faim le soir au moment de la soupe aux choux et du bœuf en daube servis dans la grange. Quand mon oncle appellerait le soir les vendangeuses une à une pour leur payer leur journée j’accourrais vite à mon tour ; mais au lieu d’accepter son argent — tant pis s’il en était fâché — j’irais l’embrasser en lui disant que je l’ai bien gagné et que c’est pour ce paiement-là que je me suis louée.

« Voilà, mon cher oncle, un de ces rêves dénués de raison qui sont familiers aux jeunes filles. Je m’accuse de l’avoir fait souvent, sous diverses formes ; mais celle des vendanges suivies de cette embrassade forcée revenait plus souvent que les autres et me satisfaisait mieux.

« Parfois j’étais si loin, si loin de tout ce qui m’entourait qu’on me disait, en me reprochant mes distractions :

— À quoi penses-tu donc ? où es-tu ?

« Ah ! j’étais à Sennecey, je courais les champs avec vous, je faisais de gros bouquets de muguet dans votre bois de Lampagny où vous me rappeliez