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pour moi ! Vous avez eu, pour consoler ma douleur de fillette de treize ans, pour tarir les pleurs qui m’aveuglaient, des élans que je n’oublierai jamais. Vous avez peut-être oublié tout cela, vous !

« C’était en revenant du cimetière. Je suffoquais. Vous n’avez pas voulu me faire repasser par le bourg. Vous avez pris du côté des champs, et quand nous nous sommes trouvés seuls sur le chemin, vous m’avez fait asseoir près de vous sur une borne de pierre renversée, et là vous m’avez parlé… Je ne saurais pas vous répéter ce que vous m’avez dit, mais quel bien vous m’avez fait ! Je crois que tout en compatissant à mon chagrin, vous avez pleuré aussi ; puis vous m’avez prise dans vos bras et j’ai senti que le cœur de mon pauvre père battait dans votre poitrine parce qu’il m’avait léguée à vous. J’ai senti que vous m’acceptiez pour votre enfant, et de ce moment c’est ainsi que je vous ai aimé.

« Je puis donc vous l’avouer : après la mort de mon père, notre brouille avec vous a été le plus grand chagrin de ma jeunesse. Et l’on met une part d’égoïsme dans les sentiments les meilleurs, je m’en rends bien compte maintenant. Si je vous aimais, j’aimais aussi votre maison et son grand jardin d’où l’on voit la montagne de Laives avec sa chapelle à son sommet ; j’aimais, du haut du labyrinthe qui est au fond du clos, tout ce vaste horizon qui s’étend jusqu’aux coteaux de Bresse par-delà la Saône.

« Au sortir de Paris où j’étais un oiseau en cage,