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Instinctivement, mes doigts jouèrent ce lied de Schubert, qui avait été pour moi un chant de poétique tendresse. Je voulus m’arrêter ; le charme opérait ; la mélancolie coulait, suave et pure, m’ouvrant les cieux sans nuages de l’infini. Tout mon être vibrait à l’unisson de cette harmonie éloquente, et l’ouragan lui-même modulait ses soupirs sur le rhythme du lied ; je le répétai plusieurs fois, puis mes mains électrisées parcoururent le clavier et, sans le savoir, je versai dans une improvisation rapide mes émotions contenues. Quand je m’arrêtai, épuisée par cet essai d’un pouvoir que je ne soupçonnais pas en moi, je m’aperçus que j’avais passé trois heures au piano. Ce fut une révélation. Le sens musical, engourdi par un enseignement étroit, s’était éveillé en moi ; j’avais trouvé un motif d’enthousiasme, une pâture pour mon intelligence : j’étais sauvée.

Ce ne fut pas sans appréhensions que je me remis au piano le lendemain. Je craignais que l’inspiration de la veille n’eût été due qu’à une surexcitation nerveuse. Pour m’inspirer, je jouai le lied, mettant sous son invocation les idées musicales que je sentais sourdre confusément dans ma tête. Aux phrases heurtées, bégayantes de la veille, succédèrent des motifs plus précis, des périodes