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Il y faussa ou cassa cinq archets, et ma haine des archets devint plus forte que celle que je professais pour les châles de laine. Après tout, maintenant que l’archet de grand- père ne s’égarait plus du côté du clavier, pou- vais-je inscrire ces deux rancunes à la liste de mes griefs contre le sort ?

Les châles de laine m’avaient peut-être préservée d’une maladie grave… mais ce n’était là qu’un peut-être. Les coups d’archet de grand-père m’avaient rendue assez bonne musicienne pour jouer avec lui toutes les sonates d’Haydn et de Mozart (piano et violon). Il parlait déjà de m’acheter celles de Beethoven pour l’hiver prochain, et j’attendais ce moment avec impatience.

On ne se doute pas de quelle ressource est la musique dans une petite ville où l’on n’en peut entendre ni aux concerts ni au théâtre. J’avais toutes les partitions d’opéras anciens ou nouveaux, transcrites pour piano seul. Grand-père me disait parfois le soir :

« Anna, j’ai envie d’aller aux Italiens. Prends la Sonnambula ou plutôt I Puritani du maestro Bellini. Ils ne jouent plus ce dernier opéra à