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Quand Pétrus Courot se laissa glisser de la fourche du noyer qui lui avait servi d’observatoire, sa physionomie avait repris toute son insouciance.

« Personne d’ici à la grand’route, dit-il, et personne derrière nous d’ici au haut du coteau de Marna. Je peux bien vous dire maintenant que je me suis trompé en croyant que ce chemin abrégeait. Il fait un coude et nous a mis en retard. N’importe, nous allons rattraper le temps perdu. Venez avec moi. »

À quelques pas de là, le frère et la sœur aperçurent une charrette abandonnée à la bonne foi publique et qu’on avait, pour toute précaution, accotée à la barrière qui fermait une vigne. Cette charrette, fort exiguë et basse sur roues, était pleine de paniers vides jusqu’au niveau du banc de bois auquel était fixé le premier cerceau maintenant la capote en toile goudronnée. Le mulet chargé de la trainer était dans les brancards. On lui avait seulement débarrassé la tête de son harnais pour lui permettre de tondre l’herbe fraîche. Il ne profitait guère de cette liberté ; tenant entre ses dents une branche de chèvre-feuille arrachée au buisson voisin et dont il laissait passer la fleur, à la mode des dandys de village, il semblait écouter, de ses longues oreilles dressées en l’air, la plainte du vent dans les branches et les lointains grondements du tonnerre.

Pétrus Courot rajusta les harnais avec la dextérité d’un maquignon et passa le mors dans la bouche du mulet, qui ne fit d’autre résistance que de renifler fortement et de secouer la tête ; mais ce fut une bien autre affaire de ramener la voiture au milieu du chemin. Pétrus avait beau faire claquer le fouet, tirer en avant sur la bride, l’animal protestait à sa façon contre l’autorité que s’arrogeait cet étranger en s’arc-boutant sur ses