Page:Blandy - L Oncle Philibert.djvu/59

Cette page n’a pas encore été corrigée

« Mon oncle, lui dit-elle, à propos de musique, voulez-vous voir si celle d’Uchizy vaut mieux que celle d’Alger ? Vous vous en moquerez peut-être autant, mais cela ne fait rien.

— Que veut dire : « cela ne fait rien ? » demanda Philibert Chardet à Alice pendant que, saisissant la main du docteur, elle le dirigeait vers la salle d’étude.

Un des principes du précepteur était, en effet, d’habituer ses élèves à se rendre compte de leurs sentiments et à expliquer les paroles qui leur échappaient d’une façon spontanée, lorsque celles-ci n’avaient pas un sens très net pour ceux qui les entendaient.

« Cela veut dire, répondit Alice en ouvrant le piano et en se juchant sur le tabouret, que mon oncle tiendra compte de l’intention.

— Assurément, » dit le docteur Thonnins, tout en jetant des regards étonnés autour de lui, car il n’était jamais entré dans la grande salle, et il ne se doutait pas qu’elle contînt un si beau matériel d’études, tant Philibert Chardet était modeste et cachait sa valeur. Aussi M. Thonnins eut-il plus d’une distraction pendant que les petites mains de sa nièce parcouraient le clavier de leur mieux en jouant une de ces mignonnes sonatines que Mozart composait à l’âge de sept ans. Il regardait en dessous les titres des in-folio dont les bibliothèques offraient tant d’exemplaires, les cadres où étaient piqués tant de coléoptères et de papillons, les instruments garnissant les tables, qui n’étaient pas pour lui, comme pour les Chizerots, les outils d’une sorcellerie inconnue ou les amusettes d’un maniaque. Sa main scandait les mesures de la sonate pendant que son esprit envisageait sous un nouvel aspect Philibert Chardet, jugé jusque-là par lui-même comme un campagnard à demi dégrossi seulement par son éducation faite au lycée de Mâcon.