Page:Blandy - L Oncle Philibert.djvu/270

Cette page n’a pas encore été corrigée

guère. Alice criblait de fausses notes les morceaux de musique qu’on la priait de jouer, elle dont ses professeurs louaient la sureté de doigts et la précision de jeu. De plus elle avait fait trêve à son penchant pour la raillerie. Paul aurait eu bonne envie de taquiner sa sœur au sujet de ces singularités ; mais l’oncle Philibert imposait silence à son neveu d’un certain air entendu, qui, mieux que cette défense, coupait la verve du frère moqueur, en lui arrachant, toutefois, un sourire.

Claude Chardet n’observait pas ces menus détails. Il s’abandonnait au bonheur d’être de cette belle jeunesse qui lui redonnait quelque chose de la sienne ; mais, comme rien au monde n’était capable de lui faire oublier les affaires sérieuses, la veille du tirage au sort, il appela son filleul et s’enferma avec lui dans la salle basse du vieux logis, afin de pouvoir conférer en toute liberté.

« Je ne pense pas, lui dit-il, que tu aies l’intention de consacrer sept ans de ta vie aux manœuvres militaires : « Par le flanc droit, par file à gauche, marche ! » Tout cela n’a rien d’intéressant à t’apprendre, et tu considérerais tes sept ans comme perdus. Comment se fait-il que tu ne m’aies pas demandé si j’ai l’intention de t’acheter un remplaçant ?… car enfin, tu peux tirer un mauvais numéro.

— C’est que j’ai fait des économies, répondit Vittorio en tirant un portefeuille dans lequel le maître des Ravières compta deux mille trois cents francs en billets de banque. Ceci est ma part, que j’ai faite un peu grosse malgré moi, car ma mère Sauviac s’est fâchée parce que je voulais lui envoyer de l’argent en surplus de la petite rente que je lui ai servie depuis que je gagne quelque chose. Je n’ai plus à penser à elle au point de vue matériel ; sa sœur est morte en lui laissant un petit héritage qui dépasse ses ambitions de