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m’a donc payé à diner sur la place, en face de la statue du général Joubert, vous savez ? Un fin déjeuner, oui, et j’y ai bu à sa santé. Grand bien en fasse aux affaires de la commune. Et le voilà qui se met à me conter ce qui lui est arrivé depuis qu’il est dans les honneurs :

« J’ai été tirer ma révérence à M. le préfet. C’est un homme, tu ne le croirais pas, Chizerot ! un homme aussi plaisant que toi et moi. Il m’a reçu dans une belle salle toute dorée, et, en voyant que je n’osais pas m’y asseoir sur les fauteuils qui sont tout habillés en soie, il m’a dit : « Monsieur mon ami, il faut vous asseoir ; faites comme chez vous. » Ensuite il s’est posé droit devant moi, et il m’a dit des choses si belles que je pensais entendre un prône de notre curé. Je suais dans le dos pour savoir quoi lui répondre, et, ma foi, je disais oui chaque fois qu’il s’arrêtait pour reprendre son souffle. »

Alors, moi, j’ai dit à mon José bien sérieusement : « Comment ! est-ce que M. le préfet ne t’a pas offert de te rafraîchir ? Ça se fait dans le grand monde. »

— Ah ! ah ! fit le chœur des veilleurs.

— Et voilà mon José tout interdit, continua le teilleur de chanvre ; mais il ne voulait pas que je pusse croire que le préfet n’avait pas tout à fait bien reçu Monsieur mon ami. Il a pensé un bout de temps, et il m’a répondu :

« – Oh ! que si, dà, je n’ai point à me plaindre de sa politesse ; il a fait venir de la bière, mais de la bière comme tu n’en as jamais bu, Chizerot ! de la bière comme tu n’en boiras jamais… elle avait au moins vingt ans de cruche ! »

L’étable retentit de tels éclats de rire que les bœufs tournèrent leurs têtes placides, s’associant par des bâillements sonores au bruit qui interrompait leur repos.

« C’est inventé, c’est inventé ! cria-t-on de toutes parts. Il